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Peut-on servir deux maîtres ?

L'éthique est un sujet fondamental qui intéresse la Chambre suisse d'experts en estimations immobilières. Sans faire de philosophie morale au quotidien, l'expert est tout de même régulièrement confronté à une question importante de l'éthique : peut-on servir deux maîtres ? Je vais donner 3 exemples de l'estimation immobilière où l'expert se doit de clarifier la situation selon les critères de la déontologie.

Pas loin d'ici, une grande banque demande à un expert d'évaluer un complexe commercial qui appartient à un avocat qu'elle a dans le collimateur. Quand le rapport d'évaluation est rendu à la banque, l'avocat convoque l'expert pour en connaître le résultat. Ayant travaillé pour la banque, l'expert doit respecter la règle de confidentialité envers elle : il ne peut donc communiquer ce résultat à personne d’autre qu’elle, fût-ce au propriétaire de l’objet expertisé, et répond par la négative à l’avocat. Afin de contourner cette règle, l’avocat propose alors à l’expert de lui donner le même mandat, pour le même objet, et de le payer comme la banque de la totalité de ses honoraires. Il est très tentant d’être payé deux fois pour un seul et même travail, mais l’expert doit refuser là aussi. Toujours eu égard aux critères de confidentialité, il ne peut servir deux mandataires pour le même objet. Cet exemple est simple.

Autre exemple. On voit souvent des courtiers qui proposent une évaluation gratuite aux propriétaires qui leur confieraient le mandat de vente de leur bien. Le courtier recherche des affaires où il fonctionne comme intermédiaire en commercialisant pour un tiers. Il essaie de décrocher un mandat et offre gratuitement l'évaluation pour déterminer le prix de vente. Cet usage est très courant en affaire et le succès du mandat est profitable pour les deux signataires du mandat et le tiers concluant. Toutefois la position du courtier, directement intéressé par la commission de la vente, ne peut pas être considérée comme garante de neutralité dans l'estimation de la valeur. La plupart des courtiers qui se trouvent dans cette position ont ainsi la prudence de requalifier leur travail d'évaluation et de ne produire qu’un "avis de valeur", moins détaillé qu'une expertise et dont la responsabilité est en conséquence moindre. La relation est ainsi mieux clarifiée et les parties se comportent de façon plus transparente. L'éthique de l'évaluation n'est pas remise en question dans cette situation.

Le troisième et dernier exemple que je vous rapporte est une situation plus délicate. Un courtier reçoit le mandat de rechercher un immeuble pour un client qui veut investir dans l’immobilier. Pour ce mandat, il sera rémunéré par une commission au moment de l'achat. Le courtier procède à la recherche d'immeubles et il trouve bientôt un immeuble en vente qui pourrait convenir à son client. Jusqu’alors, tout est normal. Le problème éthique survient lorsque le courtier propose au propriétaire actuel de l’immeuble en question, vendeur potentiel, une expertise immobilière gratuite de son bien. Le courtier, dans ce cas, offre son service gratuit à un maître, tout en sachant qu'il serait défrayé sur le même objet pour l'autre maître en cas de vente liée à l’objet de son service gratuit.

Auriez-vous confiance dans le résultat d'une expertise gratuite pour votre maison alors que le courtier, en l'occurrence aussi l'expert en estimations, toucherait une commission de celui qui l’achèterait?

Il semble que dans ce cas de figure il y ait confusion des maîtres, c’est-à-dire des mandants, et conflit de loyauté, donc de neutralité. Il est humainement impossible que l’intérêt du courtier à toucher la commission sur la vente n'influence pas la valeur vénale qu’il attribuera à l’objet analysé afin de favoriser ladite vente. Ce cas de figure existe pourtant et m'a été signalé par un des membres de la CEI qui souhaite que l'on clarifie les questions d'éthique.

L'éthique est une question d'attention de tous les instants et c'est pourquoi elle occupe aussi la Chambre suisse d'experts en estimations immobilières, et ce, d'autant plus que les clients privés ne font pas forcément la différence entre un courtier et un expert en estimations immobilières.

Il n'est pas exclu que les courtiers et les experts soient en concurrence dans certaines situations. Toutefois, ces deux métiers peuvent collaborer et se mettre en valeur réciproquement, à savoir que le courtier fasse appel à un expert pour renforcer sa position dans la négociation. Il me semblerait constructif que cette configuration se développe davantage. Beaucoup de collègues l'ont déjà compris.

Assemblée générale de l’USPI, novembre 2011.

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